La femme dans le frigo, ou Women in Refrigerators, est un trope courant dans les comics.
L’expression a été créée en 1999 par la scénariste américaine de comics et critique de bande dessinée Gail Simone. Elle fait référence au numéro 54 du comic Green Lantern datant de 1994, numéro dans lequel Kyle Rayner, le héros, rentre chez lui pour y découvrir sa petite amie, ayant été tuée et placée dans le réfrigérateur.
Gail Simone, accompagnée d’autres femmes passionnées de comics, a fondé un site proposant une liste de personnages féminins venant de comics, ayant été soit tués, soit victimes de violence ou d’abus sexuels, ou encore dénués de leurs pouvoirs, le tout pour faire avancer le développement narratif d’un personnage masculin.


La liste a rapidement été diffusée, partagée et est devenue célèbre dans le milieu des comics. En 2000, soit tout juste un an après la création du site, de nombreux journaux se sont servis de la liste de Simone, de son site, afin d’ouvrir les débats sur le sexisme dans l’industrie des comics et dans la pop culture en général. En effet, nous nous sommes vite rendus compte que cette tendance scénaristique était plus commune que nous le pensions et n’était pas appliquée que dans les comics mais également dans un grand nombre de films et de séries. Cette liste est même devenue un support dans des universités pour débattre et analyser la pop culture.
Côté comics, selon Gail Simone, le problème est beaucoup plus profond que le simple choix d’une facilité scénaristique, selon elle, il s’agit d’un problème sociétal. La femme dans le frigo renforcerait l’idée que les comics sont pour les hommes, Simone a déclaré que « si on démolit la plupart des personnages que les filles apprécient, alors les filles ne vont pas lire de comics. C’est tout ! ».
L’idée que La femme dans le frigo devienne en réalité un problème sociétal est d’autant plus renforcé étant donné que les comics ont été, et sont encore, un modèle pour de nombreux films et la création d’univers en éternelle expansion, on le voit bien avec l’exemple du MCU (Marvel Cinematic Universe) aujourd’hui : les comics ont une importance indéniable dans la pop culture. La femme dans le frigo devient alors à la fois ancrée dans le cinéma, dans les séries mais aussi dans la société.
Il faut mettre en lumière que, d’une part, les femmes sont absentes de nombreux films – d’action notamment – étant donné qu’elles sont tuées dès le début de l’intrigue, et que d’autre part, on utilise la femme comme un objet, un objet qu’on fait souffrir afin de justifier par la suite la quête du héros. On met donc en avant un personnage masculin en dégradant, en détruisant, en tuant un personnage féminin.
De plus, la douleur provoquée par la disparition de ce personnage féminin ajoute au héros masculin un nouveau trait de caractère : il est en deuil, il est sensible, cela permet alors au spectateur ou au lecteur d’avoir pitié de lui, d’excuser alors certains de ses comportements, comme par exemple le fait que James Bond ait de multiples conquêtes après la mort de sa femme : ici, on accentue la tragédie personnelle du super héros masculin afin de renforcer la haine que le spectateur ou lecteur aura contre le méchant, haine qu’on partage avec le héros, c’est un pauvre stratagème scénaristique mais qui s’avère efficace.
Cette théorie de La femme dans le frigo s’est tellement répandue qu’elle a amené à des études plus poussées : le professeur américain Jeffrey A brown en a parlé dans son livre Dangerous Curves: Action Heroes, Gender, Fetishism and Popular Culture. En effet, il dit que, tandis que les héros masculins ont tendance à mourir de façon héroïque, et à être ressuscités par magie, les femmes sont souvent tuées de manière banale mais irréparable. Jeffrey A brown soulève ici un autre pan important qui a un nom : Dead men defrosting (l’homme mort décongèle).

Beaucoup de fans de comics ont voulu décrédibiliser le travail de Gail Simone en contredisant ses propos et dénonçant que les femmes ne sont pas les seules à mourir dans les comics mais que les personnages masculins, eux aussi, sont souvent victimes de leur héroïsme. Toutefois, cela accentue de nouveau le problème de la mauvaise écriture des personnages féminins étant donné que la mort des protagonistes masculins, est souvent réversible (exemple récent avec la mort de Superman dans Batman vs Superman) mais aussi héroïque, changeant le cours de l’histoire du personnage mais également de la face du monde (Iron-Man dans Avengers : Endgame).
En se penchant sur le sujet, nous nous rendons facilement compte que ce choix scénaristique, plus que réducteur pour la femme, a été utilisé bien avant que Simone ne le dénonce en 1999 et est présent dans de nombreux films n’impliquant pas uniquement des super-héros. Nous pouvons citer l’exemple de Gladiator, de Braveheart, de Taken ou de nombreux films de Christopher Nolan (Memento, Inception, Le Prestige… l’intrigue est à chaque fois en grande partie basée sur la mort de la femme du protagoniste homme).
Ce que l’on reproche principalement, ce n’est pas de tuer ou de torturer des femmes dans les films mais c’est la récurrence de ces scénarios, sans aucune raison mise à part mettre en avant un personnage masculin. Le problème est l’éternelle mauvaise écriture des personnages féminins, principalement dans les films d’action et de super-héros. On a l’image régressive de la femme qui est une damoiselle en détresse, qui est un être si innocent, si pure, que la perte de cette pureté va motiver le héros masculin à voler à son secours.
Les femmes sont sans cesse réduites à une souffrance, presque systématiquement inutile, elles sont effacées de l’histoire avant même d’y avoir réellement participé.
Finalement, ce qui pose un énorme problème aujourd’hui et ce qui amène à une vraie réflexion est le fait que nous sommes tellement habitués à lire, à voir ce genre de schéma scénaristique dans les films, séries, livres que nous consommons que nous nous rendons même plus compte de l’aspect complètement sexiste et réducteur pour les femmes derrière tout ça.
Il est grand temps de sortir les femmes du frigo et d’apprendre à écrire des bons personnages féminins n’ayant pas besoin d’exister à travers la quête héroïque d’un homme.
Nous vous invitons à regarder la vidéo à ce sujet de la chaîne Youtube The Take qui a consacré en septembre dernier une vidéo à ce phénomène de Women in Refrigerators,