Dans son dernier rapport, l’association LGBTQ+ GLAAD n’a identifié qu’un seul personnage transgenre parmi les films produits par les grands studios d’Hollywood en 2017. Pour vous mettre dans le bain, rappelons les deux grands derniers scandales qui ont fait bouger les réseaux sociaux ces derniers mois. Parlons tout d’abord d’Elle Fanning, sœur de Dakota Fanning, reconnue pour ses rôles dans Maléfique, ou dernièrement dans How to Talk to Girls at Parties. Elle Fanning a été confrontée à une vague de backlash pour la première fois pendant la sortie de son film About Ray (3 Generations). Pour ceux qui ne savent pas de quoi parle le film, Elle joue le rôle d’un garçon transgenre, Ray, pendant sa transition (femme/homme). Si vous ne voyez pas où est le problème, lisez la suite de l’article.
Elle Fanning dans le film About Ray
Un autre exemple, beaucoup plus récent, est la grandiose et versatile Scarlett Johansson, qui nous laisse penser qu’elle fait exprès d’auditionner pour des rôles qui ne lui sont pas appropriés. L’actrice était censée interpréter le rôle du personnage transgenre de Dante « Tex » Gill dans le film Rub And Tug, mais a abandonné le projet après les critiques monstres.
Mais quels problèmes ces scandales soulèvent-ils ? Mauvaise erreur de casting ou bien plus ?
Dans le cas d’Elle, son contrat, rédigé par nulle autre personne que la réalisatrice du film, Gaby Dellal, était très clair. Avec son incommensurable sagesse et bienveillance, elle a interdit tout personne transgenre à auditionner pour le rôle. De ce fait, seules les femmes cis (ndlr: cisgenre = identité de genre où le genre ressenti d’une personne correspond à son sexe de naissance) pouvaient auditionner pour le rôle d’un homme. En signant pour ce rôle, Elle a accepté de participer à une industrie qui empêche toute une communauté de se faire sa place.
Le débat est tout sauf nouveau, il dure depuis des années et a pris toute son ampleur à la sortie du film The Danish Girl en 2012. Oscarisé pour le rôle principal de ce film, Eddie Redmayne interprète Lili Elbe, la première personne à avoir subi une opération de réassignation sexuelle en 1930. On a appris peu après que Nicole Kidman devait interpréter le rôle de Lili. On comprend alors avec ce choix de prendre un homme cis que le réalisateur représente les femmes trans comme de simples hommes en jupettes. Nous n’allons pas rentrer dans une analyse plus poussée de ce film, mais poursuivons sur la dure réalité que traduisent ces choix de casting.
Eddie Redmayne dans le film The Danish Girl
Laverne Cox, actrice trans révélée dans la série Orange Is The New Black, a déclaré que les hommes devraient jouer des hommes et les femmes devraient jouer des femmes, laissant penser que Scarlett Johansson ne devrait pas jouer un homme trans mais qu’un homme cis le pourrait. Même s’il faut reconnaître ne pas être en pouvoir de contredire Laverne Cox, on ne peut pas être d’accord avec elle. Donner le rôle à quelqu’un qui n’appartient pas à la communauté du personnage c’est l’empêcher d’être représentée dans une industrie telle que le cinéma, et priver le personnage d’être joué avec une authenticité indiscutable. On pourrait assimiler ce discours à ceux des pro-communautaristes, qui pensent que peu importe le genre, nous sommes tous les mêmes êtres humains. Cet argument pourrait marcher si tout le monde avait la même position de pouvoir, si tous les acteurs et actrices du monde avaient les mêmes opportunités. Or ce n’est pas le cas. Il est très rare de trouver un.e acteur.rice trans qui a joué le rôle d’un personnage cis, aussi nombreux soient-ils, alors pourquoi l’inverse serait-il possible ? Les personnages trans méritent de raconter leur histoire de la manière la plus sincère et pure possible, surtout après la mauvaise représentation qu’ils endurent depuis des années. Outre le côté professionnel et sociologique de cette dynamique, il y a tout un aspect psychologique. Cette communauté LGBTQ+, minoritaire presque partout, doit pouvoir s’identifier et se sentir vue sur le grand écran ; un sentiment d’appartenance qui est bien trop rare. Les laisser à l’écart de toute visibilité médiatique et artistique perpétue leur exclusion, comme s’ils n’étaient qu’un « phénomène ».
« Jouer un rôle différent de soi est le principe même du cinéma », peut-on penser. Oui, on peut tous s’aligner sur ce point. Mais n’y a-t-il pas une différence entre jouer une couturière alors qu’on ne sait pas manier une aiguille, et jouer une personne trans ? Il existe bel et bien une ligne entre jouer un rôle et une identité, d’autant plus quand elle est marginalisée. Il faut laisser une place à cette communauté pour qu’elle puisse s’exprimer et donner sa perspective sur une réalité qui, même avec toute le talent, la volonté et le respect imaginable, est inimitable. Enfin, avoir la prétention de considérer un personnage trans comme une « expérience », à cause des épreuves qu’il traverse, ne peut être qu’offensant pour la communauté transgenre.
Pour conclure cet article, nous vous proposons cette citation très pertinente de l’actrice trans Trace Lysette qui a réagi à la polémique: « Je n’aurais pas été aussi énervée si je pouvais être dans la même salle que Jennifer Lawrence ou Scarlett Johansson pour un rôle cis. Mais on sait tous très bien que ce n’est pas le cas. »
Trace Lysette aux Emmy Awards en 2016