Le cinéma libanais se révèle

Multiculturalisme, ouverture d’esprit, melting-pot… rares sont les pays du Proche Orient que ces mots décrivent. Comme la fameuse expression le dit, le Liban est l’exception qui confirme la règle. Religions, langues, cultures se mélangent dans ce territoire peu connu du reste du monde. Le pays du Cèdre regorge de multiples ressources, notamment dans le domaine artistique : vous avez probablement entendu parler d’Elie Saab ou de Zuhair Murad, deux stylistes libanais dont les créations sont portées par les plus grandes célébrités. Mais avant d’avoir trouvé sa place dans la mode, le Liban avait la sienne dans l’industrie du cinéma.

Jennifer-Lopez-Elie-Saab-2015-Oscars.jpgJennifer Lopez, portant une robe Elie Saab, à la 87ème cérémonie des Oscars 

Le cinéma libanais n’est pas récent : les premiers films datent des années 30 et étaient inspirés du modèle égyptien, pays où le cinéma s’est rapidement développé. Même si quelques titres ressortent, ces films n’ont pas réellement marqué l’histoire du cinéma. C’est à partir des années 70, aux débuts de la guerre civile libanaise (1975-1990), que le Liban commence à se démarquer sur le plan cinématographique. Cette guerre met au monde deux familles de cinéastes : ceux de la génération des années 70, qui font des films dès les débuts de la guerre, avec des cinéastes comme Jocelyne Saab et Maroun Bagdadi, et la génération plus jeune d’après-guerre, issue de ses traumatismes, qui commence le cinéma à partir des années 90, avec Randa Chahal Sabbagh, Danielle Arbid, Nadine Labaki ou encore Ziad Doueiri.

Les cinéastes des années 70

Jocelyne Saab a eu une importance majeure au Liban, surtout dans l’émancipation de la femme derrière la caméra : elle a ouvert la voie aux réalisatrices libanaises que nous connaissons aujourd’hui. C’est par le documentaire qu’elle a su s’affirmer en tant que réalisatrice, notamment en devenant reporter de guerre dans les années 70. Elle réalise une trentaine de documentaires, dont Beyrouth, jamais plus (1976), Lettre de Beyrouth (1978) et Beyrouth, ma ville (1982), qui incarnent son esprit novateur et audacieux. L’écrivaine Etel Adnan écrit à propos de ses documentaires, qu’elle « a saisi d’instinct, grâce à son courage politique, son intégrité morale, et sa profonde intelligence, l’essence même de ce conflit. Aucun document sur cette guerre n’a jamais égalé l’importance du travail cinématographique que Jocelyne a présenté dans les trois films qu’elle a consacrés au Liban. »

Maroun Bagdadi, avec Les petites guerresHors la vie ou encore La fille de l’air devient un réalisateur à la renommée internationale. On compte parmi les artistes avec lesquels Bagdadi a travaillé, Gabriel Yared. Compositeur français d’origine libanaise, il a remporté l’Oscar de la meilleure musique de film en 1997 et travaille aujourd’hui avec des fameux réalisateurs tels que Xavier Dolan ou Michel Ocelot. Maroun Bagdadi meurt prématurément en 1993 à l’âge de 43 ans, à la suite d’un accident domestique.

Les cinéastes d’après-guerre des années 90

West Beyrouth de Ziad Doueiri, s’inscrit parfaitement dans cette nouvelle génération de films. Il a notamment remporté le prix François-Chalais de la Quinzaine des Réalisateurs, sélection parallèle du festival de Cannes. Le réalisateur a également fait rentrer pour la première fois le Liban dans l’histoire des Oscars avec la nomination de son film L’Insulte. Nommé dans la catégorie du meilleur film en langue étrangère, il n’a pas remporté le prix mais a très bien été reçu par les critiques et le public. Selon Ziyad Makhoul, rédacteur en chef du quotidien L’Orient-Le Jour, « c’est un film majeur pour l’évolution des mentalités au Liban. » Le film traite de sujets sensibles et tabous au Liban ; son audace a de nouveau ouvert les blessures de la guerre et par conséquent les différentes problématiques qui en découlent.

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Synopsis de L’Insulte : À Beyrouth, de nos jours, une insulte qui dégénère conduit Toni (chrétien libanais) et Yasser (réfugié palestinien) devant les tribunaux. De blessures secrètes en révélations, l’affrontement des avocats porte le Liban au bord de l’explosion sociale mais oblige ces deux hommes à se regarder en face.

Lors d’une interview, Ziad Doueiri dit qu’il voit dans son film un autre angle : le point de vue des femmes. « C’est un film où les femmes prennent le contrôle sur la situation pour la modérer, pour œuvrer au dépassement de cette situation. Imaginez, un jour, si le monde arabe était dirigé par les femmes. »

Parlons maintenant de celle qui nous a inspirées à écrire cet article : la grande Nadine Labaki. Réalisatrice, scénariste et actrice, elle s’est fait connaître par le monde entier en 2007 avec son film Caramel. Projeté dans plus de 65 pays, il est devenu le plus grand succès du cinéma libanais à l’international. Quatre ans plus tard, elle réalise Et maintenant on va où ?, et revient cette année avec son nouveau long-métrage Capharnaüm, dont la sortie est prévue le 3 octobre en France. Parmi les 21 films en compétition, il faisait partie des favoris pour remporter la Palme d’Or, qui a finalement été remise à Hirokazu Kore-eda pour Une affaire de famille. Mais la libanaise n’est pas repartie les mains vides : le fameux Prix du Jury lui a été décerné. Elle a permis au Liban d’être primé pour la première fois au festival de Cannes. 27 ans plus tôt, Maroun Bagdadi, recevait le même prix pour Hors la vie, mais étant un film franco-belge, il ne représentait pas le Liban. C’est donc avec beaucoup d’émotion et de joie que Nadine Labaki récupère son trophée, entourée de son compositeur, producteur et mari, Khaled Mouzanar, ainsi que du jeune Zain Alrafeea, l’acteur principal de son film.

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Capharnaüm suit le chemin de Zain, un réfugié syrien de douze ans errant dans les rues de Beyrouth (capitale du Liban), qui intente un procès à ses parents pour « lui avoir donné la vie ». Des problématiques majeures auxquelles le Liban fait face y sont abordées : les réfugiés, l’enfance maltraitée, la violence des rues. Les évènements récents, tels que la guerre en Syrie, ont complètement bouleversé le pays qui s’est transformé en terre d’accueil ; le nombre de réfugiés syriens s’élève aujourd’hui à plus de la moitié de la population libanaise. Avec son film, Nadine Labaki lance donc un appel aux autorités libanaises, qui selon elle « ne regardent pas la vérité en face ».

De nombreuses questions émergent de Capharnaüm et notamment des conditions de tournage. D’où viennent ces enfants dont le jeu d’acteur semble si naturel ? La réalisatrice explique lors de diverses interviews qu’elle a trouvé ses acteurs à la suite d’un casting sauvage ayant duré plusieurs mois. Elle s’est adaptée à eux et a essayé de s’effacer le plus possible afin qu’ils aient leur liberté et puissent être eux-mêmes. Les enfants interprètent, en quelque sorte, leur propre rôle. C’est pourquoi une grande partie des scènes ne sont pas jouées. Cela donne au film un aspect documentaire et donc un rôle de miroir du monde dans lequel nous vivons, reflétant la dure réalité de notre société.

Le film de Nadine Labaki aura-t-il un impact au Liban et dans le reste monde ? Nous vous quittons sur ces mots prononcés par la réalisatrice après avoir reçu le Prix du Jury : « Je voudrais vous inviter à réfléchir, parce que l’enfance mal aimée est à la base du mal dans le monde ».

Le 24/05/2018 par Héloïse Abbosh

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