Farès et Meriem forment avec Aziz, leur fils de 9 ans, une famille tunisienne moderne issue d’un milieu privilégié. Lors d’une virée dans le sud de la Tunisie, leur voiture est prise pour cible par un groupe terroriste et le jeune garçon est grièvement blessé …

Pour ce premier long métrage, Mehdi M. Barsaoui plonge avec une élégance renversante dans les lourds sujets que sont la paternité et le mariage. L’écriture, également signée Barsaoui, arrive à alléger le poids du terrorisme et de la politique tunisienne avec un rythme parfaitement maîtrisé. Le tour de maître du réalisateur s’opère dans sa capacité à traiter d’un sujet aussi sensible dans un environnement des plus durs. Mehdi Barsaoui tient tout le long à rappeler que ce n’est pas un film sur la crise politique de 2011 mais bien un drame familial. Le contexte politique ne prend jamais le dessus sur la sphère personnelle et intime du film. Les événements influencent le développement de l’histoire, mais l’intrigue se concentre toujours sur la tragédie qui saisit la famille. C’est ainsi que s’écrit cette histoire de Meriem, Fares et Aziz, sans aucune prétention ni fioriture, mais juste assez de compassion et de patience pour que Un fils se pose comme une vraie révélation.
Nous avons pu échanger avec Mehdi Barsaoui et Sami Bouajila sur le film, ses inspirations et surtout ses aspirations. Quelques mois après son triomphe au Venice Film Festival (où Sami Bouajila a remporté le prix du meilleur acteur) et en plein Panorama des Cinémas du Maghreb et du Moyen-Orient, difficile de considérer Mehdi Barsaoui autrement que comme la nouvelle révélation du paysage cinématographique maghrébin actuel. Bien que Un Fils ne prétende pas être un film politique, le réalisateur ne conteste pas sa volonté de peindre un tableau authentique de la Tunisie, avec son bagage culturel et ses ambitions.
Mehdi: Je crois que l’être humain est profondément contrasté, ce qui m’intéresse c’est justement d’explorer ces faces cachées des personnages. Sans relief, ils seraient plats et lisses, d’où l’importance de cette remise en question qui se pose comme un point pivotant dans leur développement. Ils en sortent transformés, c’est ce périple qui les mène à la découverte d’eux-mêmes pour s’affranchir de leur passé.
La langue est le lieu où s’exprime et se construit le plus profond de la personnalité individuelle et collective. Elle est le lien entre passé et présent, individu et société, conscient et inconscient. Elle est le miroir de l’identité. Elle est l’une des lois qui structurent la personnalité.
Grandguillaume (Benrabah, 1999 : 9)
Au micro de Gilles, nous avons pu disséquer l’importance du langage dans le film. Oscillant entre arabe et français, les personnages érigent cette sémiotique au rang de personnage en lui même. Cette citation tirée de l’ouvrage Langue et pouvoir en Algérie est une parfaite introduction à la dimension socio-culturelle de ce bilinguisme. Comment est-ce que s’est composé ce ballet entre dialecte et français ? S’intéresser aux jeux de langages c’est essayer de mieux comprendre l’histoire de la Tunisie, sa relation avec son passé colonial et les rapports de force entre classes sociales.
Mehdi: L’écriture bilingue du film est le miroir d’une Tunisie moderne. C’est un héritage géographique, dont le dialecte intègre l’italien, le maltais etc. Cette richesse culturelle dépend du statut et de la position sociale de l’interlocuteur. Le personnage de Farès est né et a grandi en France, il faut comprendre qu’il se retrouve dans un environnement qu’il ne maîtrise pas très bien, d’où cette improvisation dans les langues. Faire parler à Aziz, mon fils dans le film, à la fois l’arabe et le français, c’est représenter cette éducation maghrébine des parents qui misent sur leurs enfants en leur apprenant le français.
Sami: L’intégration de la langue française en Tunisie est un héritage colonial, comme dans le reste du Maghreb, et encore plus flagrant au Maroc. Le langage est marqueur d’une classe sociale, l’arabisation ne revient qu’à la fin des années 70 et seule une certaine partie de la population parle français. En primaire, on apprenait le français, ce qui n’était pas forcément le cas de mes parents, je pense à ma mère qui est arrivée en France sans parler un mot de la langue. Par rapport à Mehdi, je suis né en France, j’ai un arabe oral très maigre dont la dextérité n’est pas comparable à la sienne. Il me permet de converser avec les petits cousins quand je rends visite à ma famille en Tunisie, qui apprennent le français à l’école. Le Maroc entretient un tout autre rapport avec la langue française, leur politique spéciale et beaucoup de berbères ne parlent pas arabe. C’est le cas d’Omar Raddad, que j’interprète dans le film Omar m’a tuer: lors de son arrivée en France, il ne parle ni français ni arabe, mais berbère.
Un fils se démarque des propositions filmiques tunisiennes traditionnelles par sa modernité. Nous avons la chance en ce moment d’apprécier des films maghrébins engagés, que ce soit dans l’écriture de leurs personnages ou dans leurs messages politiques. La révélation de l’année, Papicha, se distingue justement par la représentation de ses personnages féminins. C’est dans ce même souffle que se révèle le personnage de Meriem, mère de Aziz. Najla Ben Abdallah, pour son premier rôle, incarne cette figure imposante et sensible à la fois qui brise les codes de la femme tunisienne classique. Cette écriture, entre militantisme et lettre d’amour à la femme tunisienne, est pleinement défendue par l’auteur.
Mehdi: J’ai voulu ancrer le film dans une certaine modernité, dans une société utopique où hommes et femmes seraient totalement égaux. Pour comprendre le personnage de Meriem, il faut le replacer dans son contexte. La femme tunisienne jouit de beaucoup de droits par rapport au reste du Maghreb : elle a eu le droit d’avorter avant de nombreuses femmes européennes, ainsi que les droits au vote et au divorce. La Tunisie est d’ailleurs le seul pays arabe où la polygamie est interdite. Cette égalité est défendue sur papier, reste à voir en pratique. Le socle est là, mais nous sommes loin d’une totale émancipation.
C’était dans mes intentions que Meriem ait le mot final, ça transmet un message important. Dans le film elle ne se justifie pas, c’est un parti pris. En tant qu’auteur, je trouve qu’on vit dans une société où les hommes ne se justifient pas, je ne vois pas pourquoi les femmes devraient le faire.