Téléfilms de Noël, une recette bien rodée

Depuis des années, il est impossible de penser aux fêtes de Noël sans penser aux téléfilms petit budget qui remplacent les programmes habituels des chaînes de la TNT. Nous remarquons même une hype autour de ces films ; ils ne sont plus simplement subis mais deviennent attendus, avec une excitation d’un nombre de téléspectateurs de plus en plus important. Un phénomène très curieux, qui a suscité notre intérêt le temps d’un article hors-série.

Revenons aux origines de cette mode : Hallmark, l’empire qui s’est bâti autour des téléfilms et a inspiré toute une tendance mondiale. Ces téléfilms Hallmark sont donc le produit de la chaîne télévisée américaine éponyme, lancée en 1984. Avant de se nommer ainsi en 2001, cette chaîne était au départ la fusion de chaînes religieuses. Au fil des années, elle a diminué sa quantité de contenus trop conservateurs, au profit de programmes plus familiaux. En 2014, la chaîne s’est retrouvée dans un scandale après avoir censuré le mot Dieu d’un téléfilm et s’est justifiée en disant que c’était un « moyen d’éviter que son nom ne soit prononcé en vain« . Chaque décembre depuis 10 ans, l’usine de téléfilms lance son compte à rebours de Noël, où elle diffuse une production par jour. Elle possède également des radios dédiées à la chaîne et organise d’autres événements pour les fêtes (Saint-Valentin, fête des mères…)

Logo officiel de la chaîne Youtube Hallmark


Les années passent mais cette étiquette conservatrice les suit toujours, surtout lorsque les téléfilms qu’ils produisent depuis des décennies miroitent leurs valeurs et une certaine image de la famille américaine parfaite.
Il est indéniable que les aspects traditionaliste et religieux de leurs productions persistent, malgré leurs tentatives de neutralité. Afin d’atteindre un public plus large, la ligne éditoriale est plus apolitique, mais une certaine objectivité reste quasi-impossible pour une chaîne au lourd passé.

Les films sont vus comme une échappatoire au monde difficile et morose des téléspectateurs ; ils sont transportés dans un monde fictif et sa soi-disant universalité dans la narration.
Ce lissage fait bien rire le public, avec cette liste du site letterboxd où un utilisateur a listé toutes les affiches de téléfilms de la chaîne qui se ressemblent.

« Affiches de films de Noël avec des couples hétérosexuels habillés en vert et rouge »

Voici, selon nous, la recette du Hallmark Christmas Movie par excellence :

1. Une famille tirée tout droit d’un fichier client du Bon Marché : riche, blanche et heureuse
2. Un des personnages doit détester Noël : vous serez heureux.ses d’apprendre qu’il/ elle retrouve l’esprit des fêtes à la fin du film
3. Malheureusement, quelqu’un est mort : souvent un.e époux.se ou un parent pour donner du relief au personnage
4. Bien évidemment, une happy ending où ils finissent heureux et ont beaucoup d’enfants

Il n’y a aucune tension politique, aucune différence socio-économique ou même raciale dans cet univers où gravitent des personnages de la haute classe américaine et caucasienne. Loin de nous l’envie de surfer sur la tendance du « call-out« , où ces films seraient labellisés comme « problématiques » et la chaîne subirait le lourd sort de la « cancellation« . Cela nous conduit plutôt à analyser la démarche artistique de films qui se veulent apolitiques, pour des téléspectateurs qui ne recherchent pas à ce qu’un film soit politique. Bien évidemment, il est critiquable de voir des personnages féminins constamment refuser des opportunités professionnelles par exemple pour trouver l’amour, mais Hallmark ne recherche pas à dénoncer une société ou à déconstruire des normes sociales. Les téléfilms de Noël se substituent à une famille absente pour les fêtes, à une cheminée manquante dans le salon ou à une tasse de chocolat chaud.

Pull officiel de la boutique en ligne de la marque ($49.99)

Les téléspectateurs ont besoin de ce soutien émotionnel que leur apportent ces productions ; c’est la définition même du petit caprice dont on aurait honte mais qui soulage mieux que quoi que ce soit. Ce besoin vital de redevenir insouciant et enfant pendant une heure et demie, Bénédicte Régimont, auteure spécialisée dans la psychologie de l’habitat, l’explique par le stress et les tensions dont nous faisons face en fin d’année. Que ce soit sur le plan émotionnel, professionnel ou relationnel, chacun y trouve son compte dans un bon film cliché où tout est parfait et où nous ne nous posons plus de questions comme lors de notre chère et tendre enfance.

« Les films de l’enfance constituent presque l’équivalent d’une maison de vacances. Ils ont quelque chose de protecteur et de compensateur. Ce sont des films qui ont quelque chose à partager, un peu comme un album de famille que l’on ouvre pour se rappeler de bons souvenirs. L’institution familiale est remplie d’objets culturels de la sorte. »

Guillaume Soulez, directeur du laboratoire de recherche de l’Institut de Recherche sur le Cinéma et l’Audiovisuel (IRCAV)

Hallmark a développé toute une stratégie marketing autour de l’exploitation de cette nostalgie. L’écosystème est si profitable que les chaînes françaises comme TF1 ou M6, qui exportent de nombreux téléfilms Hallmark à la télévision française, font de même. Le CEO de Hallmark avoue que les téléfilms sont les vaches à lait de la plateforme, puisqu’ils permettent de promouvoir ses extensions payantes (VOD, replay, DVD) pour toute l’année suivante. De cette façon, l’audience regarde un téléfilm et devient si friande qu’elle en arrive à s’abonner aux services payants de la plateforme. Il va sans dire que ce modèle est dupliqué chez les plateformes de streaming en ligne type, HULU ou Netflix. Elles aussi profitent des fêtes pour augmenter leurs parts de marché, jusqu’à produire leurs propres contenus, tout comme Hallmark.

Bande-annonce TF1 des téléfilms de Noël

« Sur cette case, nous alternons au cours de l’année des thrillers et des comédies romantiques. Après les vacances de la Toussaint, il aurait été bizarre de casser cette dynamique et nous décidons donc depuis quelques années d’enchaîner avec les films de Noël. Il y a une vraie demande de la part des téléspectateurs. Avec la programmation des films de Noël, les audiences de la case gagnent cinq points en moyenne sur la cible des femmes responsables d’achats. Ces programmes « surperforment » particulièrement sur cette case. »

Alexia Lucet responsable éditoriale des achats de téléfilms pour TF1

Cette opération festive est extrêmement profitable, cependant il est légitime de se demander comment ces usines à téléfilms carburent, jusqu’à maintenir un rythme quotidien pendant le Countdown to Christmas. Tout le monde remarque la qualité médiocre de ces téléfilms : les producteurs économisent en effets spéciaux et en choix de casting, surtout dans ce milieu où les acteurs sont souvent recyclés. Garder les mêmes acteurs participe à cette sensation de familiarité et d’attachement qu’on a avec ces téléfilms ; une stratégie qui va peut-être plus loin que la simple dimension économique. Certains acteurs avouent même profiter des tournages de téléfilms de Noël pour se reposer et être dans une atmosphère très cozy après des mois intenses sur des projets plus sombres et moins amusants (l’actrice Alicia Witt pour Glamour).

Lacey Chabert a joué dans 17 téléfilms Hallmark

Un des exemples les plus surprenant a été la reconversion de Lacey Chabert (actrice dans Gretchen Wieners et Mean Girls) en ambassadrice de Hallmark. Elle décrit le public de la chaîne comme incroyablement loyal et dévoué, et avoue être persuadée de ne retrouver cette expérience de proximité avec les fans nulle part ailleurs, surtout sur les réseaux sociaux. Les mots sont bien choisis puisque les fans, qui alimentent ce phénomène culturel depuis des années, représentaient 72 millions de téléspectateurs en 2017.  Une audience chérie et chouchoutée par toutes les chaînes, même en France, dont les téléfilms rediffusés réunissent près de 2 millions de téléspectateurs à chaque fois. Les chaînes sont au courant du potentiel de cette tendance et n’hésitent pas à les produire elles-mêmes. La fiction de Noël made in France de TF1 avait cartonné avec 6,4 millions de téléspectateurs, soit 700 000 de plus que la moyenne depuis la rentrée, avec une part d’audience de 25 % (34 % de femmes responsables des achats de moins de 50 ans).

« Je ne veux pas être la « nouvelle sensation », je veux de la longévité. J’espère ajouter « productrice » à mon statut maintenant que j’en suis à 6 films de Noël. »

Jen Lilley (actrice) à propos du cycle infini de téléfilms de Noël de la chaîne
“Memories of Christmas,” “Majestic Christmas,” “Christmas Everlasting” (Hallmark)

L’hiver dernier, un vent frais a secoué les plateaux de tournage de la chaîne. Avec sa notoriété grandissante, l’audience toujours plus diverse a fait part de sa lassitude dans l’homogénéité de ces films, notamment à propos des personnages non blancs, condamnés à planer au second plan de la narration. Dans les 38 films de Noël sortis l’année dernière, 4 actrices non blanches ont obtenu le premier rôle. Une révolution bien tardive pour Hallmark, quand nous remarquons que la chaîne concurrente Lifetime (14 films de Noël en 2018) intègre depuis longtemps ce principe de diversité et d’inclusion. Suivant cette mouvance de l’industrie hollywoodienne, la première comédie romantique asiatique a vu le jour l’année dernière. L’acteur Henry Golding est d’ailleurs à l’affiche cette année de Last Christmas, l’anti-film de Noël, aux côtés d’Emilia Clarke. Déjouant le récit classique de ces contes traditionnels, dans une ambiance musicale bercée par George Michael, la comédie romantique dénote des films Hallmark de cette saison. Découvrez la bande annonce ci-dessous.

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