#MerciAdèle

@downtownzoe: #merciadelehaenel It is not over yet

Cela fait maintenant 2 ans que nous avons créé 21st Century Women, plateforme grandissant en même temps que nos réflexions et nos expériences, née de l’envie de faire entendre les voix que l’on essaie de taire, dans une industrie misogyne et dominée par les hommes. Au fur et à mesure de notre conquête culturelle et de notre compréhension des logiques de cette industrie, nos revendications n’ont fait que s’intensifier. Il vient un moment où nous nous rendons compte que chaque choix de consommation, chaque prise de parole sur un projet plutôt qu’un autre, chaque soutien que nous apportons à ces personnes qui nous inspirent, ont une certaine valeur. C’est justement parce que nous avons pris conscience que notre voix avait du sens, à notre échelle, que cette culture participative que devient le cinéma ne peut se construire sans résistance, politique et revendications. Depuis le commencement, nous avons sans cesse remis en cause notre légitimité à prendre la parole sur certains sujets que nous en avons oublié l’objectif principal : changer les choses. C’est à partir de discours de femmes inspirantes, de projets engagés que nous avons commencé à voir le cinéma français avec un œil des plus optimistes. Ce sont des femmes comme Adèle Haenel et des films sur l’émancipation de la femme comme Papicha qui, cette année, ont révélé notre ambition de parler des sujets enterrés, et notre désir de continuer à s’investir dans cette industrie.

Le cinéma tel que nous l’avons vu vendredi soir, lors de la 45ème cérémonie des César, a montré qu’il est le fruit d’une culture établie, nous rappelant notre impuissance en tant que consommatrices et femmes cinéastes. Et pourtant, vendredi, devant la Salle Pleyel, des barrières ont été renversées, des feux ont crépi et les voix se sont levées.

La cérémonie avait commencé fort avec un discours très engagée de Florence Foresti qui présentait cette cérémonie, en soutenant, entre autres que Polanski « n’était pas assez grand pour faire de l’ombre au cinéma français ». De plus, la victoire relativement inattendue de Mounia Meddour pour son merveilleux premier film Papicha ainsi que le César du meilleur espoir féminin attribué à l’époustouflante Lyna Khoudri dès le début de la soirée promettaient une très belle cérémonie. Toutefois, peu de temps après, la situation se gâtait déjà avec le premier César de la soirée pour J’accuse pour ses costumes. Cette première récompense était suivie de près par le César de la meilleure adaptation, jusqu’au point de non retour: le César du meilleur réalisateur attribué à nul autre que le pédocriminel Roman Polanski. À la suite de cette annonce, Adèle Haenel quitte la salle, « La honte » a-t-elle répété. Elle était suivie de près par Céline Sciamma, réalisatrice de Portrait de la jeune fille en feu, ainsi qu’une dizaine de personnes. Florence Foresti n’est d’ailleurs pas revenue sur scène après la remise de ce prix et a déclaré être « écœurée ».

La honte, nous ne trouvons rien de plus à dire quant à la qualification de cette cérémonie. La honte de récompenser un pédocriminel à peine une heure après avoir récompensé Swann Arlaud pour son rôle dans Grâce à Dieu, film dénonçant justement la pédophilie et les abus sur mineurs au sein de l’église. La honte de donner le César du meilleur réalisateur à un homme qui devrait être derrière les barreaux et non pas derrière la caméra. La honte de faire cela devant Adèle Haenel qui avait déclaré il y a quelques jours seulement que récompenser Polanski serait comme cracher au visage de toutes les victimes d’abus. L’Académie des César a alors délibérément craché au visage de l’une des figures les plus emblématiques du cinéma français, au visage d’une femme qui rappelons le, avait eu le courage immense de s’exprimer sur les abus sexuels que Christophe Ruggia lui avait fait subir sur le tournage de son film Les Diables, alors qu’elle avait entre 12 et 15 ans.

L’hypocrisie de l’Académie et de cette indsutrie saute plus que jamais aux yeux. En effet, la cérémonie n’a été qu’une succession de discours de femmes engagées, de condamnation des violences, des abus envers les femmes. On nous fait alors croire que nous sommes écoutées, que nous sommes entendues, que nous avons notre place dans cette industrie, dans cette société alors qu’un homme qui peut très bien être un violeur, un agresseur, un prédateur sera toujours privilégié par rapport à nous, peu importe à quel point talentueuses et ambitieuses nous sommes et pourquoi ? Parce que nous sommes des femmes. Ce dont nous avons été témoins vendredi n’aurait jamais dû arriver et ne doit plus jamais avoir lieu, comme Sandrine Kiberlain l’a si bien annoncé dans son discours d’ouverture de la cérémonie, c’est la fin d’une époque et le début d’une autre.

Avec un certain recul, le retournement de situation que nous avons vécu vendredi soir, nous a permis de transformer notre colère en ambition, en volonté de changer les choses, de nous faire entendre, et tout ce qu’il nous reste, c’est écrire. Écrire et parler, voire crier. Nous allons continuer de donner la parole à des figures dont la voix est tue depuis longtemps. Nous allons cultiver cette intime conviction que le cinéma français est une des plus belles choses à laquelle nous pouvons participer. Nous allons entretenir cette ambition, qualifiée de naïve et suffisante bien trop de fois, jusqu’à ce que le sentiment qui nous a envahi à la fin du discours de Lyna Khoudri soit le dernier souvenir d’une cérémonie des César. Ce sont ces voix, cassées, désillusionnées, trahies mais aussi enragées, excitées et révoltées que nous partageons aujourd’hui, de femmes cinéphiles, de femmes cinéastes, de femmes.

Cinéphiles, cinéastes et femmes: elles prennent la parole

« Je m’appelle Ilyana, j’ai 21 ans et je suis réalisatrice. En tant que femme réalisatrice et femme ayant déjà subi des viols et agressions sexuelles, j’ai été absolument choquée par l’annonce de vendredi soir. Roman Polanski, au-delà de ses actes, incarne aujourd’hui les violences faites aux femmes au cinéma, dans la même mesure que Adèle Haenel incarne la libération de la parole des femmes dans ce milieu. Le fait qu’un homme fugitif, reconnu coupable d’un viol soit consacré lors d’une des cérémonies les plus prestigieuses du cinéma français fait frémir. Face à Gabriel Matzneff, Denise Bombardier parlait d’une certaine habitude française à offrir une « aura » aux artistes (ici écrivains), leur permettant de tout dire, et de tout donner à voir au nom de l’art. Matzneff écrivait ses aventures sexuelles avec des « moins de 16 ans » et Polanski est récompensé malgré 12 accusations de viols par l’une des plus grandes académies artistiques françaises. Finalement, donner un César à Roman Polanski, c’est dire aux femmes violées que leur souffrance est niée au nom d’un film, et qu’elles valent finalement moins qu’un objet. Ce n’est pas le milieu dans lequel je veux évoluer. Ce n’est pas en tant que complice que je veux écrire mes films. Le cinéma français est aujourd’hui soumis à une secousse dont la honte se fait sentir à l’international. Quand est-ce qu’en France les artistes cesseront d’être protégés au nom d’un pseudo-talent alors même que leurs actes sont absolument répréhensibles moralement comme judiciairement ? En nommant Polanski et en lui délivrant ce prix, les César disent au monde que la qualité d’un film vaut plus que le préjudice moral que son auteur a pu engendrer par ses actes. Si Polanski, violeur, condamné et fugitif obtient un César, alors c’est le cinéma français entier qui devient complice de ces viols » – Ilyana, réalisatrice

« Après deux heures de cérémonie poussives le verdict tombe. Polanski nommé dans 12 catégories pour son dernier long métrage, J’accuse. Polanski accusé autant de fois, par des femmes pour viol et pédophilie. Et parmi ces nominations, plusieurs victoires, dont la plus personnelle de toutes : Meilleur réalisation. L’homme du cinéma cette année, est un violeur de jeunes filles, un pédophile, un homme qui fuit la justice et sa condamnation, en jouant avec le sens politique d’une affaire d’injustice absolue pour se faire voir dans le costume victimaire d’un homme persécuté. Applaudissements dans la salle, à peine quelques huées bien vites étouffées et l’image de la soirée: Adèle Haenel se lève et quitte la salle, le poing levé en s’exclamant : « La Honte ». Elle sera suivie par une dizaine de femmes, l’équipe de son film en tête, sur 1 700 hommes et femmes présents dans la salle. La soirée doit continuer, personne ne s’émeut de la violence de ce qui vient d’arriver. Florence Foresti ne réapparaît pas. Les Misérables gagnent Meilleur Film, comme pour finir sur l’illustration absolue de l’hypocrisie de ce monde et de cette soirée. Soirée où Swan Arlaud, récompensé pour son rôle dans Grâce à Dieu de François Ozon, porte sur scène un discours poignant sur la force de la parole des victimes, et sur la complaisance avec les coupables de pédophilie. Soirée où Ladj Ly fait monter sur scène toute l’équipe de son film, venue de Montfermeil pour parler du rêve et incarner ceux que la France des Césars refuse de voir. Soirée où Aïssa Maïga a eu le courage de monter sur scène pour parler à ce public si bien pensant de leur problème avec la race. Soirée où Lyna Khoudri et son film Papicha ont été récompensés, image belle et forte pour les femmes maghrébines. Soirée où des militantes ont fait entendre nos voix avant et après la cérémonie, pour certifier que rien n’est accepté. Ces images, ces mots et ces victoires, ce sont les nôtres. Ce sont les seules qui comptent. C’est cette parole-là qui libère, qui agit, qui peut tout faire basculer. Elle est celle qui inspire, qui porte, qui dérange, qui émeut, celle qui donne envie de tout casser, de tout construire. C’est la parole de ceux qui savent que tout le monde ne peut pas parler. Ce sont les mots de ceux qui savent qu’ils ne seront pas entendus. Nous finirons par changer les choses. Notre pouvoir est immense, et baisser les bras serait leur faire le plus beau des cadeaux. Ce texte est pour toutes les femmes qui rêvent d’une vie de cinéma : nous avons besoin de vous, nous avons besoin de vos talents, de vos paroles, de votre créativité, de votre immense force. Vous êtes l’avenir, vous êtes celles qui occuperont l’espace qu’on veut nous voler. Ne les laissez pas écraser vos ambitions, réduire à néant vos rêves. Tout est à casser, tout est à reconstruire. À nous » – Clara, youtubeuse

« À l’issue de cette cérémonie des César, j’ai été extrêmement déçue et en colère. Il y a eu des discours marquants, par exemple celui d’Aïssa Maïga, et beaucoup ne sont pas resté.e.s neutres face aux 12 nominations du film « J’accuse ». Mais les voix des minorités ont encore une fois été étouffées par des victoires injustes. On aurait pu croire que grâce à la prise de parole d’Adèle Haenel et d’autres femmes dans le monde entier, que les choses auraient été différentes, mais Polanski a reçu le César de la meilleure réalisation devant les yeux de cette actrice ayant témoigné et j’ai trouvé cela honteux. Le cinéma cautionne les actes de ce pédocriminel en lui remettant une telle récompense. Cela montre que rien n’est gagné, même dans cette ère post #MeToo. Il faut continuer de se battre, de s’indigner, de faire entendre les voix des femmes et de leur donner de la force. » – Anna-Lou, cinéphile

« La consécration par l’académie des César de Polanski comme meilleur réalisateur me révolte profondément. Il y a beaucoup à dire, d’autres le feront mieux que moi, mais je garde un goût amer de cette cérémonie, et l’impression que l’industrie du cinéma non seulement n’apprend pas de ses erreurs, mais également se coupe de son public à vouloir se regarder le nombril dans un entre-soi qui la gangrène. Qu’importe, une nouvelle génération s’apprête à prendre d’assaut le cinéma français, et j’ai confiance en l’avenir, notamment pour nous les femmes. » – Valentine, assistante de production

« Quelle image donne-t-on aux femmes victimes de violences sexuelles ? Toute la presse française s’est soulevée pour montrer le courage dont a fait preuve Adèle Haenel de témoigner après tant d’années de silence. Et à peine un mois plus tard, alors qu’elle est dans la salle, un violeur pédophile avéré est sacré « meilleur réalisateur »… Quelle honte pour le cinéma français encore à des années lumière d’un réel changement, toujours ancré dans cette traditionnelle culture du viol à la française, sous-prétexte qu’il faudrait séparer l’homme de l’artiste : foutaises. On dit aux femmes victimes d’aller porter plainte, d’appeler un numéro vert mais par contre, attention, votre violeur risque d’être célébré par un grand prix. C’est terrible. Le milieu du cinéma DOIT changer : hier soir on a fait comprendre qu’il valait mieux être un pédophile qu’une femme. C’est inadmissible, révoltant. Cela donne envie de passer à l’action, de laisser la parole, la place aux femmes. Si on ne leur en laisse pas, elles la prendront de force. C’est nécessaire, on ne peut plus faire autrement. Les meufs, il faut qu’on s’empare du cinéma et vite. » – Mona, cinéphile

« Comme beaucoup de cinéphiles dans la nuit du 28 février 2020, j’ai vécu un choc. Je n’ai pas regardé en direct la cérémonie des César, considérant déjà que j’avais de meilleurs moyens d’honorer le cinéma. Mais quand j’ai rouvert Twitter juste au moment du César du meilleur réalisateur, j’ai évidemment pris de plein fouet cette réalité crue, que personne ne résumera aussi bien qu’Adèle Haenel : « distinguer Polanski, c’est cracher au visage de toutes les victimes ». Je suis une femme, j’ai eu le temps d’apprendre ce que cela implique dans notre société, les dangers auxquels cela m’expose, les épreuves que cela suppose d’affronter. Je suis une femme passionnée de cinéma et de littérature (et j’associe ces arts car les problématiques y sont similaires, on l’a vu récemment avec le scandale autour de Gabriel Matzneff). Je consacre tout mon temps libre et même plus que cela à tenir, de manière indépendante, un média web pour donner envie de découvrir des livres et des films. Je n’ai jamais fait mystère de mon engagement féministe ni de mes convictions morales, qui transparaissent comme l’une des grilles de lecture de mes analyses, et je n’ai jamais hésité à exposer les forces ou les faiblesses d’une œuvre en termes de représentations. Je ne suis pas parfaite, je ne prétends pas tout savoir et tout comprendre, mais je sais que l’éveil de ma conscience s’affine de mois en mois, de semaine en semaine, et que je suis de plus en plus lucide sur nos enjeux sociétaux et leurs répercussions dans le cinéma et la littérature. Forcément, le sacre d’un Polanski résonne comme une injure, et je ne cacherai pas ma première réaction de désespoir, mes larmes de chagrin et de rage. L’espace d’un instant, je me suis sincèrement demandé : comment encore aimer et défendre le cinéma français, qui m’est si cher, après ça ? Mais très vite j’ai émergé de cet abattement qui est, je crois, exactement ce que les soutiens de Polanski voulaient nous voir ressentir. Car finalement, on l’a déjà entrevu cette nuit, et on le constate le lendemain en consultant les médias, ce que le monde et l’Histoire retiendront, ce n’est pas le prix du meilleur réalisateur. Ce qui restera, c’est l’image d’Adèle Haenel quittant la salle en criant « la honte ! », suivie de Céline Sciamma et quelques autres courageux/euses. Et plus encore, ce que l’on doit retenir et qui a été capital cette nuit, c’est l’avalanche de réactions sur les réseaux sociaux, l’« écœurement » de Florence Foresti très largement partagé, l’afflux des commentaires de femmes, mais d’hommes aussi, majoritairement jeunes, prompt(e)s à se révolter contre ce système en fin de vie et ce prix scandaleux. À celles et ceux que le choc laissait exsangues, j’ai consacré ma nuit à tenter de réinsuffler de l’espoir. Pour certain(e)s, ce César injurieux décuplait l’énergie et l’envie de tout changer. Plusieurs messages de jeunes femmes criaient leur volonté de faire du cinéma, d’écrire, de réaliser, de jouer, d’analyser, de critiquer ; une volonté non pas anéantie mais renforcée par ce qui venait de se passer. Je suis de celles-là. Moi aussi je vais continuer à tenir mon site web avec passion et donner envie autant que faire se peut d’être curieux/ses des films et des livres. Moi aussi j’écrirai des films et travaillerai autant qu’il le faudra pour leur donner la possibilité de voir le jour. Les votants des César ont voulu nous faire croire qu’ils sont les plus forts et les plus nombreux, qu’ils peuvent sacrer un violeur et pédocriminel en dépit de la honte qu’ils jettent sur la France ce faisant. Mais il faut rappeler la démission du conseil d’administration de l’Académie, et les informations dont on dispose sur l’âge des votants. Je crois sincèrement en la possibilité d’éduquer les gens, je crois en la capacité de certain(e)s de s’amender et d’entendre la parole des victimes. Toutefois, il est clair que cette génération de votants est perdue, que rien ne pourra la convaincre de changer un monde dans lequel elle a ses marques et qui l’a bien servie (c’est ce dont témoigne par exemple la réaction de Fanny Ardant). Or ces gens ne sont pas l’avenir du cinéma français, ils en sont le passé. Concrètement, dans 10 ou 20 ans, Polanski aura disparu et il ne sera pas le seul. Ce vote, c’est le dernier sursaut d’une vieille garde qui sent le vent tourner et qui veut jusqu’au bout imposer sa loi. Le « backlash » que constitue le César remis à Polanski n’est qu’un événement à un instant T, et ce qu’il signifie, c’est le contrecoup désespéré d’un ordre patriarcal qui va perdre la partie. Car le temps joue pour nous, et ils ne peuvent l’ignorer. Dans 10 ou 20 ans, on peut parier qu’Adèle Haenel, Céline Sciamma, Aïssa Maïga, Swann Arlaud, mais aussi Andréa Bescond et bien d’autres seront toujours là pour faire des œuvres sublimes qui nous transcendent et nous bouleversent, et porter une autre vision du cinéma, moins oppressive, plus humaine et plus juste. Et nous, toutes et tous, qui sommes jeunes encore et que la 45e cérémonie des César a révolté(e)s, nous pourrions être là aussi, et contribuer à ce renouveau du cinéma, certes pas moins talentueux, mais plus éthique. Je suis intimement persuadée que ce à quoi nous avons assisté, ce n’est pas la fin du monde, c’est la fin d’un système qui crache son venin jusqu’à son dernier souffle. À nous de nous rassembler, de nous soutenir, de porter nos valeurs, nos idées, d’unir nos talents et de travailler pour, demain, être fiers/fières de nos œuvres et de ce que seront devenus le cinéma français, et la société en général. » – Lily, blogueuse cinéma

« La honte. Comment commencer à écrire quelque chose autrement que par ces mots. La honte. La honte qu’ils devraient ressentir, la honte dont pourtant aucun ne se sert. La honte d’admirer et de vouloir travailler dans une industrie qui crache aux visages des femmes et des minorités. Ce n’est pas le cinéma dont je suis tombée amoureuse, ce n’est pas l’espoir que m’apportent les histoires qu’on m’a racontées dans les films. La honte d’admirer le travail de personnes infectes, qui ne croient en rien, parce que trop confortables dans leur velours pour oser se mouiller, oser dénoncer et aider à changer le système de l’intérieur.
La honte mais aussi et surtout la colère. La colère face à l’hypocrisie outrageante mise en scène à travers les trois heures de cérémonie, où on glousse face aux mots interdits: Polanski, 12, J’accuse, … Face aux piques, on rigole, on applaudit, on se dit qu’on vaut mieux que ces hommes-là parce que maintenant « on sait » et on ne laissera plus ce genre de choses arriver. Jusqu’au moment fatal où, alors qu’on espère un silence au moins aussi grand que celui qui règne dans notre salon, ce sont les applaudissements qui grandissent au sein de la Salle Pleyel. La colère face à ces gens qui savent, mais pour qui ça n’importe pas. Quand on pense au nombre d’acteurs, de producteurs, de réalisateurs, d’hommes du cinéma dont la carrière est faite et l’histoire est écrite, des hommes qui aiment à se proclamer alliés, et qui auraient pu s’élever face à cette injustice samedi soir. Des hommes qui n’ont pourtant rien fait. C’est une rage que je ressens face à ces paroles en l’air, qui forcent les femmes, meurtries comme Haenel et nous toutes, à faire leur propre justice.
La colère, puis la fatigue. La fatigue que malgré tous les efforts qu’on ait fait jusque là, il y ait encore des personnes à la tête des industries pour qui tout cela n’est qu’un jeu. La fatigue qu’on ressent après des mois de lutte alors pour eux tout est si simple, c’est si facile de venir bafouer ce qui pour nous a été un véritable acharnement. En une soirée, ils viennent montrer l’étendue de leur pouvoir et le fait que notre combat les a à peine effleurés. La fatigue qui vient avec l’impression de se battre et d’être en colère en vain. C’est tout de même paradoxal que rien ne change au sein du médium artistique du mouvement.
Mais ces sentiments sont communs, à nous les femmes qui nous battons. Et avec tous ces sentiments vient alors la sororité, la communion et la promesse. La promesse qu’on continuera de se battre, qu’on se donnera la force de le faire, que nous aussi on se lèvera et on quittera les salles. Nous aussi on descendra dans les rues. On continuera de parler, on va même crier plus fort que jamais, et on ne va surtout pas laisser passer cette injustice, cette provocation. Et surtout on créera.
Ce n’est pas dans cette industrie que je poserai ma pierre, elle doit changer. Je veux la poser aux côtés d’autres femmes, dans un espace où on nous respecte et nous écoute, où on est en sécurité et nombreuses. Et si ce n’est pas possible alors je ne la poserai nulle part, où bien je la poserai ailleurs, avec mes sœurs, et notre édifice sera bien plus brillant que tous les autres. » – Laurine, étudiante en cinéma

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